Les fanatiques n'ont pas le droit de censurer les critiques. Mais Emmanuel Macron non plus | Kenan Malik | Opinion

LLes auteurs qui se plaignent d'articles de journaux ne sont pas exceptionnels. Pas si les lettres du palais de l'Élysée. La semaine dernière, le Financial Times a publié, après l’assassinat du professeur Samuel Paty à Paris et des fidèles à Nice, un article de son correspondant européen, Mehreen Khan, critiquant la politique du président français Emmanuel Macron envers l’islam. Le désir de Macron «d’utiliser l’État pour prescrire une religion« correcte »», a-t-elle écrit, a «plus en commun avec les dirigeants musulmans autoritaires que les valeurs d’illumination de la séparation de l’Église et de l’État».

Macron a répondu par une lettre-article défendant lui-même et sa politique et accusant Khan de l'avoir «mal cité» – il a insisté sur le fait qu'il n'avait jamais parlé de «séparatisme islamique», comme l'a suggéré Khan, uniquement de «séparatisme islamiste». Au moment où le FT a publié la lettre de Macron, mais il avait supprimé l’article de Khan pour «inexactitudes factuelles». On pouvait lire la critique mais pas ce qui était critiqué. Les journaux excisent parfois les articles – je suis sûr que le Observateur l'a fait. Mais ils ne devraient le faire que dans des circonstances vraiment exceptionnelles, puis expliquer en détail pourquoi. La suppression des articles offensants après la critique devient cependant une partie plus acceptable de notre culture.

Quelques jours avant la publication de l'article de Khan, Politico Europe a publié un éditorial très malhonnête du grand universitaire français Farhad Khosrokhavar. La raison de la terreur islamiste, a-t-il dit, réside dans «la forme extrême de laïcité de la France et son adhésion au blasphème». Les intellectuels qui «ont fait l'éloge du blasphème» auraient dû «considérer leurs paroles plus attentivement». Alors que les laïcs français «luttent pour la liberté d’expression», a-t-il écrit, «des innocents meurent», ignorant commodément le fait que ce ne sont pas des laïcs qui assassinent. Vous devrez me croire sur parole pour tout cela car, après un barrage de critiques, Politico L'Europe  supprimé l'article pour non-respect de «nos normes éditoriales». Je ne suis pas d’accord avec l’article de Khosrokhavar, mais je ne suis pas non plus d’accord avec sa suppression. Ce n'est pas ainsi que le journalisme ou le débat public devrait fonctionner, ou peut fonctionner, en particulier lorsqu'il s'agit de questions litigieuses.

Une affiche de Macron est piétinée lors d'une manifestation à Karachi, au Pakistan, le 6 novembre.



Une affiche de Macron est piétinée lors d'une manifestation à Karachi, au Pakistan, le 6 novembre. Photographie: Fareed Khan / AP

Dans le même temps, des arguments comme celui de Khosrokhavar doivent être vigoureusement contestés. L'affirmation selon laquelle la laïcité et le blasphème aident à radicaliser les islamistes est fausse et dangereuse. La France a gravement souffert de la terreur islamiste – 267 personnes sont mortes dans des attentats terroristes depuis 2012 – mais elle est loin d'être une cible unique. Une semaine après les meurtres de Nice, une attaque terroriste islamiste à Vienne a fait quatre morts. L'Autriche, contrairement à la France, a une loi sur le blasphème très restrictive, qui a été utilisée pour criminaliser les critiques de l'islam. Entre les attaques de Nice et de Vienne, il y a eu des frappes terroristes à Kaboul et à Peshawar, contre des étudiants universitaires et une classe d’étude du Coran. La grande majorité des meurtres djihadistes se produisent dans des pays à majorité musulmane avec des lois sur le blasphème odieusement strictes. Les laïcs et les «blasphémateurs» au Bangladesh, au Pakistan, en Arabie saoudite, en Iran et ailleurs sont depuis longtemps confrontés à des assauts meurtriers, tant de la part des djihadistes que des autorités. Ce sont les gens trahis par les critiques occidentaux du blasphème.

Dire cela ne veut pas dire qu'il faut donc défendre Macron ou sa politique. Car ces politiques, comme une grande partie de la réponse française à l'islam et au terrorisme, sont traversées d'hypocrisie et d'illibéralisme. Malgré tout son attachement à la liberté d'expression, la France a des lois sévères contre les discours jugés inacceptables, de la négation de l'Holocauste à l'insulte au drapeau français. Il a criminalisé ceux qui appellent au boycott d'Israël. Il a interdit les manifestations contre Charlie Hebdo, et, après le massacre du personnel du magazine en 2015, des dizaines de musulmans ont été arrêtés pour avoir suggéré de la sympathie aux assassins, y compris un garçon qui a publié sur Facebook un dessin animé se moquant du magazine. Un projet de loi menace la liberté académique au nom des «valeurs de la république». Un autre interdirait tout filmage de policiers dans lequel des agents pourraient être identifiés.

La brutalité policière contre les personnes d'origine maghrébine est bien documentée. Le racisme est profondément enraciné dans de nombreux domaines de la vie sociale, de l'emploi au logement, bien que les chiffres soient rares étant donné la réticence des Français à collecter des données ethniques. Etre «daltonien» est trop souvent dissimulé pour être aveugle au racisme.

Le racisme et les doubles standards ne peuvent être remis en cause en cédant à ceux qui souhaitent restreindre la parole ou le droit de blasphémer. La liberté d’expression ne peut pas non plus être renforcée, ni le terrorisme maîtrisé, en ignorant les doubles standards, le sectarisme raciste et l’illibéralisme de la plupart des politiques de Macron.

Les luttes pour la liberté d'expression, pour la défense de la laïcité, contre le racisme et contre le terrorisme sont inextricablement liées. L'autocensure en réponse aux menaces islamistes doit résister. Il en va de même pour l’autocensure en réponse au mécontentement des dirigeants démocratiques.

Kenan Malik est un chroniqueur d'observateur